JURISPRUDENCE
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Les grosses réparations de l’article 606 du Code civil

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Il était fréquent que dans les baux commerciaux en vigueur avant la loi Pinel n° du 18 juin 2014, la charge des grosses réparations de l’article 606 du Code civil soit transférée sur le locataire.

Dans cette hypothèse, le bailleur pouvait refacturer au preneur le coût des travaux de réparation des « gros murs et des voûtes, de rétablissement des poutres et des couvertures entières, celui des digues et des murs de soutènement et de clôture, aussi en entier » selon la définition surannée de cette disposition légale créée en 1804.

Depuis le décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 pris en application de la loi dite Pinel du 18 juin 2014, ce transfert des grosses réparations de l’article 606 sur le preneur est interdit en vertu de l’article R.145-35 du Code de commerce tout comme les honoraires liés à la réalisation de ces travaux.

Il reste à délimiter ce qui entre aujourd’hui dans la catégorie des grosses réparations, trop de bailleurs s’en tenant trop souvent à la rédaction littérale de l’article 606 malgré une interprétation jurisprudentielle évolutive de la notion.

Article 606 du Code civil bail professionnel

En effet, la jurisprudence antérieure s’attachait à retenir un caractère limitatif à la liste des réparations prévues à l’article 606 et écartait toutes celles qui n’avaient pas trait aux gros murs, poutres et toitures entières.
En 2005, un arrêt de la Cour de cassation a remis en cause cette approche en adoptant une définition plus générale des « grosses réparations » qui sont « celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale » (Cass. 3e civ. 13 juillet 2005 n° 04-13.764 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007050648).

– Dans la ligne de cette jurisprudence de la Cour suprême, les juges du fond ont ainsi retenu qu’incombaient au bailleur :
– La réfection complète de la couverture en zinc et des enduits dégradés de la façade (CA Douai 10 septembre 2009 n° 07/02131)
– Les travaux sur des éléments incorporés aux ouvrages participants du couvert et du clos tels que toiture/couverture et menuiseries extérieures (CA Aix-en-Provence 14 juin 2016 n° 15/09678)
– Le ravalement des façades quand il touche au gros œuvre (CA Versailles 1er juillet 2014 n° 13/08720)
– La reprise d’un désordre affectant la structure de l’immeuble telle que la réfection complète de la peinture du plafond rendue nécessaire par l’absence d’étanchéité de la toiture-terrasse (CA Bordeaux 11 décembre 2014 approuvé par Cass. 3e civ. 22 juin 2017 n°15-18.316 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035007013)
– Le remplacement de la cuve contenant la réserve d’eau d’un réseau sprinkler intrinsèquement lié à la structure de l’immeuble, son objet étant d’assurer la sécurité et pérennité de l’immeuble (CA Paris 1er septembre 2021 n° 19/09404)
Un arrêt récent de la Cour de cassation vient de confirmer cette définition (Cass.3ème civ. 22 avril 2022 n° 21-14.036 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045733276).

En l’espèce, la Cour d’appel d’Amiens avait condamné un bailleur à rembourser au locataire le coût de remplacement de quatre fenêtres du local commercial loué au motif que le bail transférait au locataire l’obligation d’entretenir les lieux loués en bon état de réparations locatives, sauf les réparations prévues par l’article 606 du code civil et que le bailleur devait supporter toutes les réparations d’entretien utiles au maintien permanent de l’immeuble.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé que les travaux litigieux intéressaient l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale.
Cela ne signifie pas que, pour la Cour de cassation, le remplacement des fenêtres ne relève pas des grosses réparations de l’article 606 du Code civil.
Mais la Cour d’appel de renvoi devra s’attacher, pour ne pas encourir une nouvelle fois la censure de la Cour de cassation, à préciser si le remplacement des menuiseries extérieures intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale.

Une précision importante : Le preneur devra veiller à exécuter ses propres obligations d’entretien, car à défaut, il pourrait être condamné à prendre à sa charge les grosses réparations si la nécessité d’y faire procéder découle d’un manquement du locataire à son obligation d’entretien (CA Paris 13 novembre 2019 n°18/09635).